L'émoi des fleurs
L'émoi des fleurs
Les frênes et les hêtres tardent encore à ouvrir leurs feuilles, mais la verdure est partout installée, "cassée" de part en part par les tâches de colza. Au potager, les jardiniers couvent d'un oeil attendri les légumes en train de forcir, et pestent contre les attaques ravageuses des petites loches ou des piafs gourmands. Mois chéri des écoliers et des salariés avec sa belle suite de jours fériés... c’est Mai qui est arrivé !
Comme la coutume de l’esmayement, plantation des mays devant les portes des jeunes filles durant la nuit du 1er mai, ou des roulées, quêtes rituelles des oeufs, la cueillette et le don des fleurs participent à l’ode au printemps. Et au royaume des fleurs, la rose a depuis belle lurette imposé sa suprématie ! De bon matin me suis levée/Plus matin que ma tante,/Dans mon jardin j’ai descendu/Cueillir la rose blanche/N’aurai je pas tra la la/Celui que mon cœur demande... Collectée par Barbillat et Touraine dans le Bas Berry (mais on trouve une version très proche dans les cramignons liégeois), la chanson unit le bouquet de roses blanches à la quête de l’amoureux ; c’est le thème de la descente au jardin, que l’on retrouve dans l’enluminure, où la jeune fille esseulée qui tresse une couronne de roses est observée par son ami prisonnier derrière les barreaux. Les plus anciennes versions conservées de cette chanson, comme celle de Jean Froissart, évoquent un chapelet à la place du bouquet. C’est bien à l’origine une couronne de fleurs , appelée autrefois chapel, couvre-chef fait de fleurs, qu’il était coutume d’offrir en guise d’engagement. Au fil du temps, détrôné par le bouquet, le chapelet d’amour ou de jouvence cède la place à un usage plus mystique ou honorifique de la couronne de roses, et se fait objet de culte ; et la tradition des mays se voit concurrencée par les rosaires du culte marial .
Arbres et arbustes des lisières ont aussi leurs floraisons, et celles de mai éclairent les restes de haies qui ont survécu aux campagnes d’arrachage et aux traitements. Au jeu du langage des mais feuillus et fleuris, déposés autrefois devant la porte des filles en âge d’être mariées, aubépines et églantiers, peut-être par leur capacité à accrocher les coeurs avec leurs épines, tiraient leur épingle du jeu.... Maurice Crampon et Arnold Van Gennep, folkloristes, notent ainsi Aubépine, je t’estime à Senlis, Ed l’epeine, ej l’aime à Boulogne, Amiens ou dans l’Oise ; l’églantier, lui, symbolisait aussi l’innocence et la vertu d’un premier amour dans le Ponthieu ou l’Oise. Mais pourquoi donc tant d’ostracisme envers le sureau, cet autre compagnon des haies ? Du Seïu, ça pue (Boulogne, Somme), suriau, chameau (Senlis), du seïu, ch’est enn’ truie (Somme). Nous avions quitté en avril le sureau encore défeuillé, pourvoyeur de bois à faire flûtes et mirlitons, et le voici chargé de toutes les tares, comme dans l’Yonne où un mai de sureau sanctionne la fille aux bras creux, mauvaise ouvrière, allusion aux tiges de sureau à la moelle si tendre...
Effrontée, votre mère est brûlée, votre père est pendu par une cossette de séyu (Hainault) ou Vochal li tin ki v' montre so l'sawou (ce sera bientôt le temps de monter sur le sureau.) (Eugène Rolland-Histoire de la Flore Populaire)... autant de menaces d’une punition imminente pour les enfants pas sages ! Franc comme une rotte (lien) de seû dit-on en Normandie pour signifier le manque de franchise... Ne raconte-t-on pas que Judas se serait pendu à une de ses branches, après avoir trahi Jésus ? Un choix étonnant, connaissant le caractère tendre et cassant de ses branches... Et surtout un lourd handicap de départ ! «Suzerain des ruines» , «Prince des décombres» (Pierre Lieutaghi-La plante compagne), on dit aussi son bois puant, verruqueux, ses fruits noirs poison ; il s’enracine là où l’on ne l’attend pas, aimant s’installer à proximité des maisons, des puits, dans les friches, les décombres, les ravines d’eau sale . Sa mauvaise réputation en a fait un allié des sorciers, et surtout des sorcières, dont on racontait qu’elles se déplaçaient sur un balai dont le manche était fait de bois de sureau...
On raconte qu’une communauté tzigane s’arrêtait autrefois sur les bords du Rhin, à la saison des fleurs de sureau. Durant la nuit, les femmes allumaient le feu du bivouac sous une bassine d’huile à proximité des arbres, et faisaient une pâte à beignet. Elles allaient sous les branches avec jatte de pâte et bassine, et y trempaient successivement les corymbes parfumées. Et quand un bel arbre à beignets avait surgi sur la lisière, parmi le houblon et la clématite, on appelait les petits : la fée du sureau était passée. Il faudrait lui laisser quelques beignets. Elle viendrait les savourer dans sa belle robe farineuse, alors qu’on serait de nouveau sur la route (Pierre Lieutaghi).
Le temps du muguet, avec les pluies de mai, est bien vite passé... Reste la promesse de la floraison enivrante du sureau. On pourra en cueillir les fleurs entre mai et juin, par une journée ensoleillée, en prenant garde que les fleurs soient déjà suffisamment ouvertes pour être riches de pollen et nectar, mais encore fraîches, toutes chargées de promesses. Pour en faire vinaigre et vin parfumés, délicate gelée et fleurs séchées. Et pouvoir l’année durant déguster un peu des fleurs blanches du printemps.
A écouter :
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain (Charles d'Orléans). Marie Christine Barrault. Rym musique, 2011.
L’amour de moy. Jacques Douai; J’ai la mémoire qui chante.
Vive la rose et le lilas. Cora Vaucaire. Because, 2006.
Si tu t’imagines (Raymond Queneau). Juliette Greco.
La petite marguerite. Georges Brassens, paroles et musiques.
Le Rosier de Madame Huson. Guy de Maupassant.
Sureau, sureau. Anne Sylvestre.
A lire :
Le joli mois de mai. Revue L’Histoire, mai 1978.
Les fleurs dans la peinture des XVème, XVIème et XVIIème siècles. Geneviève Fettweis. Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, 2011.
La vieille mère sureau. Hans Christian Andersen.
Sureau gourmand. Recettes à base de fleurs et baies de sureau. Délices du Maine.
Boissons à base d’aspérule odorante. Confrérie des Fins Goustiers du Haut-Maine et Pail.
Bonus :
Le Rosier de Madame Huson. réal Jean Boyer, 1950.
Grand’mère gatiau (Gaston Couté). Marc Robine, Gérard Pierron. Chansons et Poétes.
1 mai 2014