Profiter de l'été, profiter des beaux jours... un grand élan d'unanimité semble s'imposer, au moins sur ce sujet. Les peaux se dénudent plus ou moins franchement, le marché est envahi de chalands dont la grande interrogation est la prévision du temps. Orages et fortes chaleurs se succèdent, faisant parfois rêver de fraîcheur et d'ondées légères. Mais dès que les nuages moutonnent plus de quelques heures, que l'air s'alourdit, c'est l'inquiétude...
Ce sont les filles des forges/ digue ding dondaine...
Les filles de Paimpont partent s'amuser à l'occasion de la Saint Eloi. La chanson ne dit pas s'il s'agit de la Saint Eloi d'hiver, ou celle d'été, fêtée en pleine période des feux du solstice d'été. Ni avec qui les filles firent la noce, juste
de jolis garçons qu'ont du poil au menton... Peut-être que ce sont des charbonniers qu'elles rencontrèrent ? Sans eux... ni forges, ni forgerons. Au XVIIème siècle, des forges, prémices d'une production industrielle, s'implantent au coeur de la forêt de Brocéliande, comme dans d'autres régions, pour peu que l'on y trouve eau, bois et minerai dans le sol. Le couvert forestier fournit, depuis des millénaires, de quoi fabriquer ce charbon, qui, plus léger et plus facile à transporter que le bois, se consume lentement, fournissant des braises au fort pouvoir calorifère. L'homme a appris dès l'âge de fer à les utiliser pour transformer le minerai, puis la terre et le sable en fer, fonte, tuiles, briques, faïence, verre... Constituant plus de la moitié de l'effectif des hommes qui travaillent pour la forge en 1796 (près de 120 personnes sur un total de 231-
Archives Départementales Ille-et-Vilaine), les forestiers s'ils ne sont pas salariés de la forge mais payés à la tâche, sont indispensables au fonctionnement des fourneaux, laminoirs et fonderies.
Les jours d'hiver sont revenus,/Plus de feuilles aux branches./Le givre couvre les bois nus/De ses épines blanches./Dans la coupe où sont empilés/Les menus brins de hêtre/Les charbonniers sont installés,/Femme, apprentis et maître (André Theuriet). Si le poète ou le peintre ont saisi le travail des charbonniers durant l'hiver, c'est plus généralement du printemps à l'automne que les charbonniers carbonnent. Mais avant, il faut préparer le travail et tirer parti du moindre morceau, étapes qui peuvent être faites par d'autres forestiers. Les bûcherons se chargent des coupes dans la futaie, en respectant les souches destinées à fournir une nouvelle cépée exploitable 10 à 20 ans plus tard. Les coupes sont ensuite ébranchées, fournissant matière à fagots, débitées en longueurs homogènes, puis préparées en cordes. Entre temps, l'écorçage, ou pelage, travail qui se fait souvent en famille, permet de récupérer les écorces des chênes, destinées au tannage des peaux, après avoir été broyées au moulin à tan. Les fendeurs prennent le relai, afin que toutes les longueurs soient de diamètre homogène, gage d'une bonne qualité de combustion.
Résultant d'une combustion incomplète et lente,
le meilleur charbon de bois s’obtient en brûlant du bois des taillis de chêne, hêtre ou charme, un bois ni sec ni fraichement coupé. Il nécessite un savoir-faire et une vigilance continue des jours durant. Les emplacements des
fouées ou
charbonnières ne sont pas choisies au hasard par le
dresseur, et les bonnes places charbonnières sont réutilisées au fil du temps. Le maître-charbonnier surveille la constitution et la combustion de la charbonnière, qui peut s'étaler sur plusieurs jours. Malheur à la négligence, si la fouée s'enflamme, faute de surveillance, c'est tout le travail qui est perdu ! Les aides sont mis à contribution et le travail peut se faire en famille pour
amener le bois nécessaire à la construction de la
fouée, la
couvrir de terre, puis, la combustion finie, l'
ensacher, et
charger les sacs confectionnés...
Ero boscant en la Maluna,/Enamorat,/Jamai n’obliderai (j’étais bûcheron dans la Maluna/Enamouré/Jamais je n’oublierai): si le
bucheron de la Vésubie parti pour plusieurs mois en chantier,
laissant derrière lui sa belle ou sa famille chante avec nostalgie, il semble que les charbonniers, malgré la dureté du métier, apprécient cette vie dans la forêt.
Rien n’est plus fier qu’un charbonnier/Qui se chauffe à sa braise,/Il est le maître en son chantier/Où flamme sa fournaise chantait-on dans le
Dauphiné. Pas de présence féminine ou enfantine, juste quelques poules qui picorent au côté de ces charbonniers travaillant dans la forêt d'Hesdin, sur le territoire du village de La Loge, le nom donné traditionnellement aux cabanes de forestiers. Mais toute la famille peut être aussi au bois, constituant une
communauté de vie et de travail, et se déplaçant selon les chantiers charbonniers. Cette vie au creux des bois, en marge de la communauté villageoise ou citadine fascine ou effraie.
Charbonnier mon ami, où est ta charbonnière ? Là-bas, mademoiselle, au beau milieu des bois/Si vous voulez venez y voir : collectée dans l'arrière-pays niçois, la chanson campe la rencontre entre une belle demoiselle en promenade, et un charbonnier noiraud. Entre effroi et curiosité, la rencontre du monde policé de sociétés villageoise ou citadines avec celui de l'homme des bois apparait comme la découverte de communautés sauvages, à l'image des
petites citadines en fins souliers, rubans et jupons,
élégantes ou
élégant chapeautés de clair qui viennent visiter les charbonnières.
Le charbonnier s'en fut faire un tour à la ville/En s’écriant «Madame» à haute voix/Vlà du charbon, du nouveau bois. S'il est détrôné dès le XIXème siècle par son rival le charbon de terre dans les régions d'extraction minière, le charbon de bois arrive dans les villes pour y être vendu comme combustible domestique, jusque dans les années 50. A Paris, c'est la communauté auvergnate, arrivée dès le XVIIIème siècle, qui assure, après avoir fait la livraison de l'eau dans les immeubles bourgeois alors dépourvus d'eau courante et jusqu'à l'arrivée du gaz dans les foyers, la vente et la livraison du charbon de bois. Créant le commerce des
bois et charbons, ils adoptent le surnom donné par les parisiens de
bougnats. Le charbonnier qui apporte le charbon en ville, se voit affublé, comme quand il carbonne en forêt, d'une figure de
sauvage. Charbonnier, tu as la barbe noire... Charbonnier, que ta chemise est noire... Charbonnier, tes pantalons sont troués... La chanson énumère les raisons de l’effroi de la cliente, à l’instar du Petit Chaperon Rouge effrayé par l’état de sa grand-mère. Mais le charbonnier, est attendu, et sait répondre :
Chemise noire, bon charbonnier ! Livrant maisons et immeubles, il rentre dans l'espace domestique, y rencontre forcément ménagères ou soubrettes et leur apporte chauffage, combustible pour la cuisine, et peut-être
bien plus que le confort moderne...
C'est le temps des chaudes journées... les sacs de charbons de bois attirent le client, les repas se prennent dehors, les odeurs de sardines et de saucisses se rient des clôtures des jardins.
C’est le temps des vacances, on s’en prend à rêver au passage du charbonnier...
A écouter :
Les trois fendeurs. Carmen Strauss. Accrofolk FM, 2011.
Charbonnier mon ami. La Talvera/Cordae.
Charbonnier mon ami. Marcel Guinard. Archives de François Lancery. Maison du Patrimoine Oral, Amost.
A regarder :
Les charbonniers de l'Antola. Jean Paul Métailié, Guiseppina Poggi. Université de Toulouse Le Mirail, 1998.
Métier d'autrefois : le charbonnier (forêt de Boblaye, 56 Meslan). Diaporama Joseph Guégan.
La fille du charbonnier 1 et 2. Daniel Carré, 1982.
à lire :
Histoire du charbon de bois. Temotec.
Les filles des Forges de Paimpont. Brocéliande, forêt de légendes et terre de traditions.
Usines métallurgiques dites Forges de Brécilien, puis Forges de Paimpont. Portail des patrimoines de Bretagne.
Charbonniers de Brocéliande : l’art de la fouée. Bibliothèque Municipale de Paimpont, 2007.
L'art du charbonnier. Reportage (cliquer sur les liens "à suivre" des pages successives).
Cabanes et huttes des bois. Les gens de la forêt.
Bonus
La montée des bois de Vaux. Jean-Luc Gueneau (vielle), Gilles Poutoux (mélodéon). Enregistrement inédit du célèbre duo emblématique des années folles.
La carte postale «En forêt; Les charbonniers - La loge» fait partie des collections de Mr Jean-Claude Debril (Hesdin et son canton, Mémoires en Images, ed; Alain Sutton, 2005)