Jardinières et jardiniers s’activent au jardin, tandis que les dernières pluies ont fait exploser un feu d’artifice de fleurs rosées et blanches sur les arbres fruitiers. Le chant du coucou retentit des premières lumières de l’aube aux dernières lueurs du jour. Le brin de muguet a remplacé symboliquement les mais d’antan que les prétendants faisaient parvenir à leur belle pour déclarer leur amour. Pas de doute, Joli Mai est revenu...

Les calendriers médiévaux dont celui des Bergers choisissent pour ce mois, de représenter un noble cavalier, oiseau de proie au poing, accompagné d’une jeune damoiselle assise en croupe. Ces représentations invitent à interprétation. Les images de scènes de chasse à l’oiseau sont nombreuses dans les livres d’heures et manuscrits, c’est souvent affaire d’hommes chassant en compagnie et initiés aux subtilités de la fauconnerie, éperviers ou faucons au gant. Les représentations fantasmées de l’amour courtois sont plus éloignées de cette réalité. Le damoiseau est en conversation galante avec la belle et l’oiseau posé sur son bras dénué de gant de cuir semble d’un cousinage moins proche de l’épervier prédateur que de celui de maître coucou ! Oiseau niais, c’est d’ailleurs ainsi que l’on nomme le jeune épervier au nid au Moyen-Age, oiseau abaissé appelle-t-on aussi en langage de fauconnerie l’oiseau capturé et rendu servile, voilà qui donne sens aux mots déniaiser, damoiseau ou damoiselle…

Le printemps, saison des oiseaux, saison où se jouent les amours, c’est aussi et avant tout celle où les couples se

font, s’appareillent, se déclarent… Mettez la main au nid des œufs/Que chaque main en prenne deux/Moi qui suis le porte-panier/Je prendrai bien le nid entier : les jeunes garçons battent la campagne pour les dernières quêtes, merveilleuse occasion d’aller voir et courtiser les jeunes filles. Voici le moi de mai venu, du mois d’avril n’en parlons plus/ Je vous salue ma maîtresse/Aimez-moi je vous aimerai/Le temps de ma tendresse… chante-t-on aussi dans le Berry. Les jeux amoureux sont omniprésents : ne dit-on pas en mai fait ce qu’il te plait ?  Il faut en profiter, ce temps de tendresse peut être compté : lou mès de mài, lous galants cambion d'amios (c’est en mai que les galants changent d’ami) dit-on dans le Lot, tandis qu’en Wallonie on chante Voici le printemps mon cousin/que tout se renouvelle,/que tous les amants mon cousin/s’en vont changer de belle mon cousin …

Paradoxe de ce mois des fleurs ! Mes du flour, mes di plour…mois des fleurs, mois des pleurs, dit-on dans le sud-ouest,  où l’on ajoute aussi maridadge en mài, noun es de durado (mariage de mai ne durent jamais). "Dans les sociétés traditionnelles, la date d'un mariage, occasion de préparatifs, de cérémonies et de déplacements, doit être choisie quand les cultivateurs ont un répit dans le calendrier des travaux agricoles et peuvent donc se déplacer plus facilement... Cependant, certaines périodes sont écartées "à priori", et en premier lieu le mois de mai » analyse Arnold Van Gennep. Le mois voué à Marie, dont la virginité perpétuelle constitue un dogme de la doctrine catholique et orthodoxe est en effet jugé inconvenant pour les mariages Le culte marial, qui se renforce au XIX° siècle, est l’objet durant tout le mois de mai de cérémonies et processions auxquelles participent activement les Enfants de Marie Immaculée. L’interdit existait déjà cependant dans la Rome Antique ; c'est en mai que les lémures, âmes des morts inquiets ou hostiles, venaient tourmenter les vivants. Rites nocturnes, offrandes de fèves, incantations et charivari étaient organisés afin d'apaiser les esprits. Ce temps n’est pas favorable pour l’hyménée de la vierge ou de la veuve. Celle qui a pris alors un époux a cessé bientôt de vivre. Et, si les proverbes peuvent être ici de quelque poids, je rappellerai ce proverbe du peuple : Il est mauvais de se marier au mois de mai.  (Ovide - Fastes). Une mise en garde que l'on retrouve encore dans le dicton Noces de mai, noces mortelles …

Mois de quête amoureuse, mai est donc période proscrite pour les mariages, à croire que notre coucou chantant à tue-tête ne fait qu’alerter sur les désillusions et déceptions amoureuses d’un mariage-tue-l’amour... Ne prenez point femme pendant le mois de mai : la chanson traditionnelle détaille les dangers encourus en bravant cet interdit : si l’époux risque d’avoir épouse plus préoccupée par les moines et les prêtres (Le coucou), il s’expose aussi, comme le Petit Jean chanté par La Bolduc, à devoir se contenter d’os à ronger… Un thème que l’on retrouve en Bretagne, collecté par Donatien Laurent : J'aurai que du pain sec/Je boirai que de l'eau/Et encore on viendra me dire que je suis un soulot ; et la chanson poursuit Elle est là-bas dedans la plaine/En train de m'regarder pleurer/Pleurez, pleurez, dit-elle/Vous aurez beau pleurer/Tandis que je suis jeune/Je me divertirai … (Quand je serai dans mon ménage). Et surtout, la belle peut être volage : Si vous prenez une femme bell' / coucou, coucou/ méfiez-vous qu'elle soit trop belle/ car les oiseaux se nichant partout/ ils chanteront dans leur trou/Coucou, coucou, coquette et coucou ! chantent nos cousins canadiens en 1900.

Je prends un p’tit baton/Et j’vais reconduire matou/Ca t’apprendra mon drôle/A v’nir couver chez nous (J'entends le coucou). A l’image du coucou, qui pond ses oeufs dans le nid des autres, est associée la crainte d’être coucu et de ne pouvoir établir avec sureté sa filiation :  Cocut ! Ent as jagut ?/Al Mont Agut !/Que I as fach ?/Un ostal traucat !/Qual t’a adujat a lo far ?/Monsur Bernat !/De que li as donat ?/Un uòu coat ! (Coucou ! Où as-tu dormi ? Au Montagut !/Qu’y as-tu fait/Une maison trouée !/Qui t’a

aidé à la faire ?/Monsieur Bernat !/Que lui as-tu donné ?/Un oeuf couvé !) dit une formulette aveyronnaise. Si  le mari est prêt à défendre son territoire, le risque est accepté, et prête même parfois à confidences. Je me croyais honnête homme/Maintenant c… me voici/Mais pourtant ce qui me console/C’est qu’mon voisin l’est aussi/Mon voisin l’est l’dimanche/Et moi je le suis le lundi (Le cousin) : la chanson du mau marié sait alors faire rire en prenant à partie les hommes, victimes obligées et consentantes des femmes . Un grand jeu que ne renie pas cette grand-mère se confiant à ses petites-filles : -Quoi ! maman, deux amants ensemble ! -Oui, mais chacun d'eux me trompa./Plus fine alors qu'il ne vous semble,/J'épousai votre grand-papa. Et de continuer -Maman, que lui dit la famille ?- Rien, mais un mari plus sensé/Eût pu connaître à la coquille/que l'œuf était déja cassé… (Ma grand-mère).

Profitons du mois de mai, nous chante l’oiseau... Au dessus des libres amours veille le coucou !

A écouter :

Marions les roses (chanson de quête). Malicorne, Le mariage anglais. 2000.

Voici le printemps mon cousin. Marc Malempré, Rémi Decker. Codicille. Homerecords, 2013 

Sisters of Mercy. Leonard Cohen

The cuckoo song. Al Bowlly and the Arthur Lally Orchestra, 1932

Cuckoo’nest. Guitare, mandoline, violon.

Cuckoo is a pretty bird. Doc Watson, 1991.

Cupidon s’en fout. Georges Brassens. INA

Heurs et malheurs de la condition masculine (Jacques Coget-France Culture) à télécharger

sur le site mes archives sonores

à regarder :

Images de l’amour courtois au XIV ° et XV° siècle. Base iconographique de l’Université d’Angers.

Cuckoo. Série Natural World. BBC .

Les Cramignons de la Basse-Meuse. RTBF, 1975

Le Peuple migrateur, extrait.

A lire :

Le coucou et(est) l’épervier. Colette Mechin. L’Homme, 1999.

Les Enfants de Marie Immaculée. Hélène Roman-Galéazzi. Revue Rives, 2005.

La Hulotte, le journal le plus lu dans les terriers : n°38 et 39

Bonus

L'honneur de ne pas te demander ta main...pour tous. François Morel. France Inter, 2013

Cuckoo Clock short film. Tom Jantoll, Cirque du Machinima.