Par ici la visite !

 

En 1991, Trio Violon (Jean-Pierre Champeval, Olivier Durif et Jean-François Vrod), enregistre au château de Sédières un cd célébrant le jeu polyphonique du violon. Jouant de l'écho permis par l'architecture minérale du bâtiment, les musiciens proposent, sous le titre La Visite du château, deux marches collectées dans le Massif Central, celle de l'Arabe et celle du Falgoux.


Faut-il s'étonner de trouver des marches dans le
répertoire de musiciens à danser ? Dans la société traditionnelle, rurale, on se déplaçait beaucoup à pied... Les violoneux jouaient un rôle important, animant veillées, bals et mariages.  Ceux-ci duraient deux à trois jours, commençant d'abord par un cortège de noces allant  quérir la future mariée dans la maison paternelle pour la mener au bourg où se trouvaient mairie et église, puis vers le lieu de la noce. Tout en montant la côte, le rossignol chantait,/Chante vilaine bête/ T’as bien de quoi chanter,/La belle de quoi pleurer.... chantaient des marcheurs de la montagne limousine ; jouer, c'était donner entrain et cadence aux marcheurs, mais aussi informer la communauté rurale du  changement de statut des jeunes époux, à commencer par celui de la novia...


Il n'est pas toujours facile de nommer avec précision les morceaux de musique traditionnelle, qui se transmettaient à l'oreille, et prenaient la patte du musicien qui s'en emparait. On se souvient des versions d'une même chanson, collectées dans notre région sous trois titres différents, et ne retrouvant leur unité que tout récemment !  Qui était "l'Arabe" à qui est attribuée  la première marche ? On en sait peu de choses, nous dit en 1993 Olivier Durif, hormis une certaine notoriété auprès d'autres violoneux corréziens... Antoinette Cougnoux, institutrice patoisante indiquait déjà, parlant de Jean Chastagnol, un autre violoneux, "il disait tenir son répertoire de Léonard Lachaud, qui le tenait  à son tour d'un maître de talent dit "l'arabe", connu seulement sous ce nom ; son domicile étant au lieu-dit le Roc-Blanc, de la commune de Corrèze" (Le dernier violoneux des Monédières). Antoine Paucard, agriculteur, artiste autodidacte, dresse  dans la revue Lemousi un portrait plus complet du musicien, donnant les grandes lignes de la vie de ce ménétrier. Décédé au Roc Blanc (Corrèze) en 1908, célibataire, celui que tout le monde appelait l'araba (l'Arabe) était né 80 années plus tôt à Saint Augustin, et déclaré sous le nom de Jean Chauzeix, de père inconnu. "Sans profession", "indigent" indiqua de manière lapidaire celui qui signa l'acte de décès d'un musicien qui avait animé des années durant le bal à l'auberge du Roc Blanc ainsi que  les fêtes et mariages dans tout le canton (L'arabe, un homme légendaire)...


Et ce Falgoux de la seconde marche ? Olivier Durif recensait, dans ses notes de collectage, plusieurs personnes qui évoquent un dénommé Jean Falgoux, violoneux surnommé Jean Chez Plane, forgeron de son état, décédé en 1972, à Picherande (Auvergne)... C'était sans compter les pièges de la recherche, dont le moindre n'est pas l'homonymie ! A une soixantaine de kilomètres de Picherande se trouve le bourg du Falgoux (Cantal), où vécurent plusieurs violoneux, dont les membres de la famille Ythier, qui fournit trois générations de musiciens de noces et de bal, forgerons eux-aussi...  C'est d'ailleurs Gustave Ythier, dernier de cette dynastie musicale, qui joue lors d'une séance de collectage en 1978 la fameuse marche du Falgoux. Evoquant son travail, basé essentiellement sur "des faits d'oralité", Olivier Durif, musicien et chercheur, rappelle que "l'équilibre littéraire, délicat dans son maniement et relatif dans ses conclusions, n'a pas pour but de sanctifier et de fixer une bonne fois pour toute l'Histoire de ces musiciens mais bien, d'esquisser un paysage qui sera, n'en doutons pas, la base de nouvelles recherches sur ce terreau si riche qu'est la vie des musiciens populaires."


Une précaution que nous faisons notre ! L'édition 2015 de notre Boîte à Musiques a été une fois encore riche de plaisirs, de musiques, de découvertes et de questions. Certaines ont trouvé réponse, d'autres restent ouvertes aux travaux et recherches d'autres musiciens, d'ethnologues, folkloristes, historiens ou curieux...


Polissonne Colombine, diable violoneux, fileuse, lièvre de Pâques, marchand de chansons, amoureux, menteurs ou bergers cornemuseux... les images aussi nous auront apporté, au gré de la sensibilité d'un peintre, d'un artisan, d'un sculpteur, d'un enlumineur ou d'un graphiste, un éclairage singulier, laissant parfois entrevoir une symbolique cachée ou un nouveau chemin à emprunter. Collectées au fil des sujets, certaines sont déjà venues s'inscrire en contrepoint des textes, chansons et musiques...


D'autres sont venues s'ajouter pour composer une suite de tableaux ; on y croisera Jérôme Bosch et son Jardin des délices, Benjamin Rabier et ses animaux loufoques, un calendrier équivoque de 1888, F'Murr, et son troupeau déjanté du Génie des Alpages, un étonnant catalogue de jouets datant de 1830, les danseurs de tango d'Elie Nadelman, un danseur transformé en marionnette, une marmotte... Et aussi un diable violoneux, de Dominique Beauregard, peintre-fabuliste de la région des Laurentides (Canada) qui a mis si justement en image les relations sulfureuses entretenues par le violon !


C'est donc sur la visite de la galerie du château de Coérémieu, accompagnée du violon et de l'accordéon diatonique, que nous vous adressons nos meilleurs voeux pour 2016.


Que l'année qui commence soit remplie d'ouverture, de curiosité, de débats... et de musique !


Un grand merci à Dominique Beauregard, qui nous a très gentiment donné l'autorisation d'intégrer le tableau Au diable les violons ! dans notre galerie. Son site et son travail sont à découvrir ici.


à lire :

Le violon populaire en Massif Central. Olivier Durif. Saint Salvadour, 1993.

La vallée du Mars : la musique traditionnelle. La vallée du Mars au fil du temps


à lire et à écouter :

Le violon traditionnel en Limousin. Françoise Etay, Mémoire de maîtrise. Paris, Sorbonne, 1983. (la page d’accueil permet d’accéder aux 4 parties du mémoire, ainsi qu’à des extraits musicaux)


à écouter :

La visite du château (extrait). Jean-Pierre Champeval, Olivier Durif, Jean-François Vrod. Silex, 1991.

La marche de l'Arabe. Elie Chamberet (1906-1981)? Collectage Olivier Durif, 1978.

La marche du Falgoux. Gustave Ytier (1898-1980), Olivier Durif. 1978.

Suite de marches de noces. Le Merle Rouge, 2015.

Bourrée de l’Arabe du Roc Blanc (extrait). Comberoche, Philippe Ancelin, Jean-Marc Delaunay, Fabrice Lenormand. Les Blaireaux de l’association Les Brayauds. K7, 1994

Les vignerons aiment le vin et bourrée de l’Arabe du Roc Blanc. Suite de deux bourrées présentée en session au Folk Club des Dasmoiselles, 2011.

Le violon populaire. Série de 4 émissions réalisées par Jacques Coget, invité François Durif. France Culture 2012. (téléchargeable sur le site Mes archives sonores).

La marche de noces «Fais ton paquet bergère» est un collectage réalisé en 1991

Les collectages d’Olivier Durif sont accessibles sur le site de la Base interrégionale du Patrimoine Oral Limousin


à regarder :

Violons en sabots (extrait). Francis Lapeyre, 1981. (le dvd peut être commandé ici)

Lilou Mathieux par Olivier Durif. extrait de Voyage en trad, Thierry Lamireau. Télé Millevaches, 2002.


Bonus de Nouvel An :

Faites sauter le bouchon !
















 

Janvier 2016

 
 

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