Les Aventures et Amours de Magritte et Jean-Franchois
épisode 1
Les Aventures et Amours de Magritte et Jean-Franchois
épisode 1
Juillet presque terminé, et avec lui son temps de fenaison... Révolue, l’époque où le foin précieux se faisait à l’aide de faux, râteaux et fourches, où tous les bras étaient mobilisés pour récolter le fourrage des bêtes pendant la mauvaise saison. Aujourd’hui, les vaches sont élevées en stabulation, et les champs de maïs destinés à la production d’ensilage ont pris la place des pâtures...
Se tu te hès erbete au prat, en berdejant, Jou me haréi dahair que t’auréi en dalhant... Si tu te fais petite herbe au pré, je me ferai faucheur pour t’avoir en te fauchant... Cette version pyrénéenne des Métamorphoses, dialogue entre tourtereaux ne déroge pas à la règle : la femme, après s’être retranchée derrière différents prétextes, accepte les sollicitations de son courtisan. Un thème classique de la chanson traditionnelle... Au terme d’une enquête digne d'un polar estival, c’est l’histoire de deux amoureux de l’arrière-pays boulonnais que nous vous invitons à découvrir, à travers des chansons collectées en trois points du Pas de Calais...
Une recherche nous livre les références du précieux ouvrage : Poésies de M.P. Dezoteux, cordonnier à Desvres. Boulogne sur Mer, Leroy-Berger, 1811. Une seconde précise sa disponibilité limitée... Consultable sur place à Lille, Strasbourg et à la Bibliothèque Nationale. Christian Declerck, musicien et collectionneur dunkerquois, nous sort de l'impasse : le livre, acheté en brocante et numérisé, nous est transmis en 1 clic. Né d’honnêtes parents, mais sans grande fortune/Mon éducation fut et courte et commune ; /Pour mon malheur, sans doute, à neuf ans et cinq mois/ J’avais fait tous mes cours ; et la première fois/Que de rimes, de vers, je voulus faire ouvrage,/Huit lustres et trois ans formatient déjà mon âge, nous apprend Pierre Dezoteux. Publié après souscription alors qu’il a 68 ans, le recueil rassemble poèmes, billets d’actualité, jeux littéraires, charades et chansons, dont Les Amours et Conclusions de Mariage de Magritte et Jean-Franchois, écrite dans le patois de l’arrière-pays boulonnais. En même temps qu’il manie la plume, et entretient une correspondance avec d’autres lettrés, admiratrices ou notables, Pierre Dezoteux exerce le métier de maître cordonnier à Desvres, comme l’avaient fait avant lui son père et son grand-père.
Les uns me censuraient, et d’autres plus méchans/Espèraient m’arrêter par leur esprit mordans écrit le poête. Pourtant, quoi qu’en disent certains détracteurs, Pierre Dezoteux est un locuteur reconnu, distingué très tôt lors de l’enquête linguistique de 1807 réalisée dans les départements de l’Empire par Coquebert de Montbret. Mention y est faite de sa chanson Si Iun é d’chez... (Le sortilège) et de sa participation à la traduction de la Parabole du fils prodigue en patois boulonnais. Son nom est mentionné maintes fois aux côtés de De Cottignies dit Brûle Maison ou Desrousseaux par le chanoine Haigneré qui sélectionne des passages de la chanson de Magritte et Jean-Franchois pour la précision du vocabulaire ou de la grammaire employée. Ernest Théodore Hamy, dans La vie rurale au XVIII ème siècle dans le pays reconquis (1906), ne manque pas de citer aussi de grands passages de la chanson...
Texte des Amours et Conclusions de Mariage de Magritte et Jean-Franchois en main, dictionnaires à l’appui, restait à écouter le collectage de Monsieur Eurin, locuteur du patois utilisé dans le Montreuillois, en établir une transcription, et dresser un tableau des 4 versions, recherchant le sens de certains mots ou expressions pour éviter transpositions hâtives et contresens...
En m’nant nos vaques à l’pâture, j’ai rencontré m’n amoureux... La chanson du XVIIIème siècle est pleine de bergères et de séducteurs tentant de charmer une jeunette de basse condition... Mais ici il s’agit, racontée par Magritte du début à la fin, d’une rencontre peut-être pas si fortuite que ça, au détour d’un chemin, hors du regard des parents... Jean-Franchois, l’amoureux en titre, a sans aucun doute reçu la permission de la fréquenter, lors des veillées hivernales. Mais il aimerait que le mariage ne tarde plus ! Magritte invoque les réticences de sa mère : M’mère n’veut pont qu’je l’quitte... Cette dernière veut la protéger des désillusions d’un mariage ? Est-ce qu’elle a encore besoin du travail qu’accomplit Magritte à la ferme ? Peu importe. Al’ a ben voulu d’ t’ en père ; Pourquoi n’ vorois-tu pont d’ mi ? Invoquant l’argument de l’exemple parental, fréquent dans la chanson traditionnelle, Jean-Franchois détaille ses qualités et celles de sa fiancée. Magritte, flattée, embarquée dans la surenchère, énumère elle aussi ses atouts, les préparatifs du mariage, et se voit déjà nageant dans le bonheur...
Si les versions collectées auprès de Mrs Holuighe et Eurin sont fidèles à l’esprit du texte de Pierre Dezoteux, celle de Mme Delassus, plus courte, monologue d’un seul garçon vantant ses qualités, en parait éloignée. L’idée avancée par Mme Delassus d’une chanson de demande en mariage auprès des parents peut séduire, il existait de nombreux rituels marquant autrefois le mariage, embûches simulées, rapt feint et résistance de la jeune fille, et les qualités oratoires du futur gendre étaient aussi jaugées. Mais eun’ femme avec mi s’ra toujours au paradis, conclusion du chanteur, augure mal du lien exclusif que les futurs beaux-parents sont convenus d’attendre de leur gendre envers leur fille, dans un acte d’autant plus sérieux qu’il les engage à fournir la dot et à prendre en charge les frais du mariage...
Mr Eurin ne chante pas tous les savoir-faire et ses assemblages de vers sont différents. Oubli des paroles au fil du temps ? Liberté du chanteur de tradition orale ? Les hypothèses sont multiples, et il serait intéressant de pouvoir comparer avec le collectage de Mr Holuighe, enregistré à seulement 11 kms de Bezinghem ! Dans la version de Mme Delassus, savoir-faire masculins et féminins sont repris par l’homme, qui se vante de battre el' beurre et écramer. Pourtant, laiterie, basse-cour et maison sont de longue date domaines dévolus aux femmes à la ferme. Celles-ci sont d’autant plus fières de faire le beurre, que sa vente au marché du coin, élément constitutif du revenu, signe la reconnaissance de la compétence à faire du bon beurre, avec ce qu’il faut d’égouttage, de sel, de qualité du moulage.... Amusante, l’explication liant le rétoupage à la taille du haut de la haie, son toupet, est pourtant un contresens ; la racine du mot est étoupe, et le sens boucher un trou.
Mr Eurin ne chante aucun vêtement pour Jean-Franchois, mettant au crédit de Magritte les jabots masculins. Mais on s’attardera plus sur le sujet des pièches sur les marrones. Le pantalon de travail rapiécé n’est pas synonyme de dénuement. : en dehors de l’aristocratie, puis de la bourgeoisie, les vêtements sont portés, déclassés, cédés, légués, et l’on ravaude et use les choses jusqu’à la corde. Pierre Dezoteux écrit, et Mme Delassus le chante ainsi, les marrones ont été faites sur sin cul. Faites à façon, c’est du «sur mesure» et non de fripes amenées par les revendeurs à la toilette, colporteurs chargés de vieilles hardes qui reclassent aussi à la campagne les vêtements usagés de la ville !
Magritte veut pour ses noces un musicien qui fasse danser et un chanteur ; il n’y a pas à chercher loin pour trouver les musiciens. El’ berquer éd’no village i jura d’el’ pipe-à-sa. Cette cornemuse régionale utilisée par les bergers du nord était bien présente dans le Boulonnais à l’époque de Dezoteux, mais on n’en a malheureusement pas découvert d’exemplaire dans la région pour l’instant, le chanoine Haigneré déplorant déjà à son époque la disparition de cette pratique musicale champêtre. Il est peu probable que sa présence en tant que pratique instrumentale puisse être attestée dans la 1ère décennie du XXème siècle, mais les recherches continuent... Rémi Dubois, chercheur-facteur de cornemuses fait le lien de cette cornemuse disparue avec celles retrouvées en Wallonie et qui ont fait l’objet d’études et publications depuis plus de vingt ans. Cette pipe-à-sa, pipe à sac était de toutes les manifestations importantes au village : naissances, mariages, fêtes, rites et processions. Le chanteur, ce sera l’fieu d’no clerc, garchon fort sage. Est-ce un clin d’oeil adressé par Pierre Dezoteux à son collègue Mr Debove, instituteur à Desvres, à qui il adresse des vers compatissants ? Si le sens commun veut que les enfants des maîtres soient moins dissipés que leurs condisciples, il a c’est sûr un répertoire bien fourni de belles canchons. Avec le berger, ils animeront la soirée dusqu’au matin et i n’iera fameux tapage.
Gâtant son Franchois à coup de potage, de fricassée de pois, et de fromage à l’égoutois, Magritte, déjà dans l’après-mariage et l’ordinaire de la table paysanne, conclut On n'en varra core d'pire/ den tous chés environs-chi . Ce que Mr Eurin reprend dans la formule Et on en trouv'rait cor' des pires/ Ichi et tout partout...
Pense-t-elle qu'elle a devant les yeux le plus beau parti du coin, ou aperçoit-t-elle, sans illusion, des moments difficiles à venir ?
Oz érons d’s’étoupes à détouller à nou quenoulle... On aura parfois eu de l’embarras à comprendre le sens des paroles, mais on a cherché !
Et ce n’est pas fini ! En vl'à d's'aria ma bonne mère avait indiqué Pierre Dezoteux comme air pour la chanson.
Reste donc encore à trouver l'air caché derrière ce titre...
Rendez-vous prochainement pour l'épisode 2 du feuilleton Les Aventures et Amours de Magritte et Jean-Franchois !
Merci à Christian D. pour son aide et la mise à disposition du livre de Pierre Dezoteux. La Boîte à Musiques est redevable du travail des collecteurs du patrimoine oral et de l’effort déployé pour le préserver et le faire connaître.
A écouter :
Les transformations. Malicorne. 1979
La chanson Quand j’allos m’ner m’vaqu’ et les commentaires dans le livret, collectage Traces 1986 sont téléchargeable sur le site Mémoires du folk 59/62
La chanson J’ai tros belles paires ed’marronnes, ainsi que les commentaires de Mme Delassus, collectage Association Marie Grauette, sont téléchargeables sur le site Mémoire du Folk 59/62
Tros belles paires ed’marronnes. Groupe Marie Grauette (Musiques et Chants traditionnels d’Artois), 1978. L’intégralité de la K7 et son livret d’accompagnement sont téléchargeables sur le site Mémoire du Folk 59/62
J’a tros belles paires ed’ marrones (extrait). Rue du Fief , La Piposa. 1999.
A regarder :
Cornemuses d’Europe et de Méditerranée. MUCEM
La cornemuse. La musique à travers ses instruments. Mezzo, RTBF, 1999.
Rémi Dubois et Olle Geris, Atelier d’un souffle à l’autre
A lire :
Chansons boulonnaises de Michel Lefevre. Mémoires du Folk en Nord Pas de Calais.
La Muchosa, cornemuse du Hainaut par Jean-Pierre Van Hees
La tradition de la cornemuse en Belgique. Hubert Boone. Renaissance du Libre.
Petite glossaire de patois allégé. extrait du Patois boulonnais comparé avec les patois du nord de la France.
Hommage à la poésie du XIXème siècle. La cave à poèmes. Gérard Trognou, 2003.
Le Patois boulonnais comparé avec les patois du nord de la France vol 1 et vol 2. Chanoine Daniel Haigneré. 1903. (édité après le décès du Chanoine, l’édition a bénéficié du travail de Mademoiselle Deligny, libraire à Boulogne sur Mer)
Enquête linguistique Coquebert de Montbret. voir page 239 pour le département du Pas de Calais
La vie rurale au XVIIIème siècle en pays reconquis. Ernest Théodore Hamy. Hamain, 1906.
Au XVIIIème siècle, le coton et l’arrivée des indiennes. Les Petites Mains.
Bonus :
Pierre Dezoteux, cordonnier poète (1742-1826). Christian Declerck, 2015.
The Cobbler. Tommy Makem.
Juillet 2015
Si tu te fais oiselet pour voler autour de moi
Je me ferai petite herbe au pré en verdurant.
Si tu te fais petite herbe au pré en verdurant,
Je me ferai faucheur pour t’avoir en te fauchant.
Si tu te fais faucheur pour m’avoir en me fauchant
Je me ferai le chêne, au bois en verdurant...
Chanson traditionnelle
Béarn