Les Calendriers des bergers médiévaux transmettent l’image de troupeaux de porcs menés en forêt pour la
glandée. Les cochons se gavent de glands, faînes, châtaignes et racines, sous la surveillance du porcher. Dès le 16°siècle, le déboisement et les prérogatives des seigneurs limitent
les
anciens droits d'usage et cet élevage en liberté. Au milieu du 18° siècle, avec l’apparition de nouvelles cultures (pomme de terre, plantes fourragères) ce dernier connait un nouvel essor.
Vauban y voit un moyen d’enrayer les famines et la crise paysanne de cette fin de règne : "
cet animal est d’une nourriture si aisée que chacun peut en élever, n’y ayant point de paysan, si pauvre qu’il soit, qui ne puisse élever un cochon de son cru par an".
Au début du 19°siècle, sous l’impulsion de l’Angleterre, le
Large White remplace
les anciennes races régionales. Le 20°siècle marque "
l’intensification de l’élevage en espace clos conduisant à produire des animaux forcés de s’adapter au confinement et à l’alimentation industrielle, avec tout ce que cela comporte comme souffrances pour le cochon et comme nuisances pour l’environnement". (Le Cochon, Histoire d’un cousin mal aimé,
Michel Pastoureau).
Le cochon, en particulier le lard, a constitué longtemps la viande de base de la population. Jusqu'à la généralisation de l'élevage industriel, pommes de terre, betteraves, restes de cuisine, eaux grasses composent
le boère à pourcheux (Picardie), la mangeaille de l’animal, qui continue à être mené en troupeau.
Quand iétàe chez mon grand-père : c'est le thème de la bergère, si jeunette qu'elle en oublie son déjeuner... Mais de quoi était fait ce déjeuner ?
N'est que de pain d'avoine qu'est pour les lévriers (Provence),
une fouace de pain d'orge, et n'en ai pas mon soul (Catalogne)... apprend-t-on dans quelques unes des versions de
la Porcheronne. Le
petit porcher n'était pas mieux loti. Responsable du troupeau communal, toutes bêtes confondues, le
herdier, souvent étranger au village, méprisé (est-ce de l’appréciation négative de son travail que vient notre verbe
glander ?) était aussi craint pour les pouvoirs occultes qu'on lui attribuait, comme le charbonnier et le bûcheron avec qui il partageait l’image de solitaire des bois, d’
homme sauvage . "
Il est celui qui sait. Il sait, sans avoir appris, les remèdes pour guérir bêtes et gens, et, parce qu'il est extrêmement mobile avec son troupeau errant, il voit, devine, bref il "sait" les secrets des gens du village (Colette Méchin -
Le porcher dans la tradition rurale)
Tesson, te voli pas vendre/te voli gardar/te voli engraissar/te voli manjar (Cochon, je ne veux pas te vendre/je veux te garder/je veux t'engraisser/je veux te manger)... chante-t-on en Occitanie. Après la foire d'automne où a été vendue une partie du troupeau adulte, arrivait un des temps forts de l’année rurale : le rituel de l’abattage du porc. A l’entrée de l’hiver, le cochon avait alors son maximum de graisse et sa conservation posait le moins de problème. La chair du cochon constituant les réserves de nourriture de la maisonnée, l'abattage (la tuerie) faisait l'objet d'une organisation et de soins rigoureux. Jeûne de l’animal afin d’avoir des boyaux vides, mise à mort, nettoyage, éviscération, découpe, préparation pour la conservation... autant de savoir-faire que campagnes hygiénistes, élevage et abattage industriels ont largement fait disparaître.
Durant ce travail qui réunissait de longues heures famille élargie et voisinage, se jouaient, à coup d'allusions et de plaisanteries (ne dit-on pas un parlé
cru ou
salé?), les relations entre générations et sexes. Une besogne qui s’appuyait sur une division du travail très forte justifiée
par la croyance que les femmes, au sang
chaud, voir
corrompu, pouvaient faire tourner les viandes et ainsi mettre en péril la subsistance de la maisonnée :
"celui qui sale un cochon et que son lard nage, ben c'est parce qu'il sait pas saler l'cochon. Ou alors c'est qu' la cuisinière, quand elle va chercher du lard dans l'saloir, elle lui ravage tout" (Colette Méchin.
A propos de frontières ). Aussi, la
tuerie, la découpe de la viande selon sa transformation future et sa conservation (saloir ou fumoir)
étaient l'affaire des hommes, le nettoyage des boyaux, la préparation du boudin et des entrailles étant dévolus aux femmes. Ce jour-là ou le dimanche suivant, le "repas de cochon", la
tripée (Artois), la
noce de la goraille (Vendée) ou la
pétée (Sarthe) rassemblait famille et voisinage pour manger foie, rate et poumons cuisinés. La fille de la maison allait porter l'
offrande du cochon aux voisins, gage de bonne entente et aussi de retour. «
Voisins et parents s’entendaient pour échelonner la mise à mort. L’ordre adopté pouvait suivre celui de la rue du village, chacun se rendant chez l’autre à tour de rôle » (Le Carnaval, Claude Gaignebet).
Bientôt, les vessies de porc seront tendues sur les rommelpots, ou gonflées et agitées par les masques. Elément essentiel du grand manger de Carnaval, fait d’abondance d’aliments gras et flatulents, le cochon participe pleinement de cette mythologie carnavalesque qui préfigure le retour de la lumière et de l’année nouvelle.
à lire
Les règles de la bonne mort animale en Europe Occidentale. Colette Mechin. Revue l’Homme, 1991
Les femmes et le saloir ; Le langage du cochon (extraits). in Une campagne voisine, Minot. Yvonne Verdier. Maison des Sciences de l’Homme, 1990.
à écouter
Le porc est le propre de l’homme. On ne parle pas la bouche pleine ! France Culture 2012
Petite porcelette. Gabriel Yacoub. Trad. Arr, 1978. Paroles à lire ici
La danse des gorets. Album Paris Centre, Cornemuses en Ile de France. AEPM, 2005
La danse des gorets . Le Pommier doux, extrait n°13. Modal, 2000.
Tout est bon dans l’cochon. Juliette
L'odeur du fumier. Gaston Couté, dit par Jacky Foussier. Archives sonores départementales de la Sarthe, 2001
Jean-François le cochon. Bruno Clavier. Don Pedro et ses dromadaires. Universal, 2000
Trois petits cochons. Dick Annegarn. Plouc, titre 5. 2005
Cochon de lait. Cedric Watson et Bijou créole. 2012
à regarder
La ferme des animaux.John Halas, Joy Batchelor, d’après le roman de George Orwell (1945). Louis de Rochemont prod., 1954. (découpage en 8 documents sur you tube)
Pigs in a Polka. Friz Freleng. Merries Melodies, Warner Bros, 1943.
Bonus
La Mort et Lao-Tseu son cochon. François Boucq. Fluide Glacial
Funny clip : Dino island. Gogeta, sans date
Bob et son cochon savant. Début 20 siècle