Tourneboule...
Tourneboule...
Vous Fols, qui de la tête incessamment jouez
Qui avez le cerveau rempli de vanité,
Venez et accourez, soyez de cette bande
Perdant honneur et biens, le monde vous le commande
(Sottenbollen/les folles boules - c.1570).
Au premier plan, des boules, aussi parfaites que celle qui orne le bumbass. Sur la gauche, une armée de fous, coqueluchons sur la tête, pressés semble-t-il d'approcher au plus près le piquet-cochonnet. L'un d'eux, tout à son aise, est porté royalement sur les épaules des compères. Grelottières aux chevilles, un autre présente sa boule aux vents, histoire de lui porter chance, comme le ferait le joueur soufflant sur les dés avant de les jeter. A l'opposé dans l'angle droit, c'est la flûte qui est utilisée pour souffler, visant un même résultat.
Une fois leurs boules lancées, le reste du groupe grimace, s'asticote... Au premier plan, marotte à la ceinture, tunique écarlate, coqueluchon à oreilles et crête finement dessinés sur la tête, un fou gratifie d'un double pied-de-nez un compère qui, vièle dans le dos, fait la figue au hibou ; ce dernier parait d'ailleurs bien s'en moquer ! Derrière, deux autres se mènent par le bout du nez, bien malin qui saura lequel dit la vérité... Bouille ronde comme une bille, bouche grande ouverte telle un passe-boule, nous regardant droit dans les yeux, un autre encore fait les cornes. Plus loin, un fou montre ses fesses rebondies, tandis qu'un autre joue de la guimbarde en minaudant ; peut-être espère-t-il aussi faire bouger sa boule grâce à sa musique...
Au centre du dessin, un personnage parait bien calme. A l'envers des autres, mains au sol, taille ceinte d'un cercle orné de grelots posé dans le vide, défiant les lois de l'apesanteur, il semble observer le tourbillon d'un air entendu, comme s'il comprenait toutes les règles de ce désordre... Avec ce corps dont le mouvement rotatif va l'amener tôt ou tard à poser ses pieds de manière à former un parfait arc de cercle, n'incarne-t-il pas, en dépassant les limites de l'équilibre, et par extension de la condition humaine, le monde à l'envers ?
Jeu de mots, mouvement, déplacement, inversion, tout concourt ici à chambouler la perception, l'oeil étant cependant amené par le jeu de la spirale, quel que soit son point de départ, vers l'acrobate tête-bêche. S'agit-il de la Fête des fous, qui rassemblait autour des cathédrales et collégiales, du 6 décembre (St Nicolas) jusqu'au premier de l'an (Fête de la Circoncision), les membres du bas-clergé, vicaires, chapelains et enfants de choeur ? De l'une des nombreuses fêtes de confréries laïques, corporatives comme des guildes d’archers (Anvers), de bouchers (Nuremberg), des compagnies joyeuses comme la Basoche (Paris) ou la Mère Folle (Dijon), composées des clercs ou greffiers, ou encore des Conards (Rouen) ?
En 1974, Hubert Boone, musicien-chercheur, enregistre à nouveau les musiciens, âgé pour le plus ancien de 70 ans. Edité en 45tours, le collectage est accompagné d'un texte décrivant la manifestation, s'intéressant particulièrement à la musique du trio, à la place du bouffon et aux origines de la musique. Sans apporter de réponses définitives, Hubert Boone met en relation le couple fifre/tambour avec la flûte à trois trous jouée par le tambourinaire et la présence du bouffon de Mater avec les pratiques anciennes des sociétés et guildes. Esquissant ainsi un possible chemin unissant le dessin de Brueghel avec une musique qui continue à vivre 4 siècles plus tard...
C'est sur une de ces danses des fous, jouée au flutiau, accordéon et grelots, accompagnant les pirouettes des folles boules que nous vous présentons nos meilleurs voeux pour l'année 2017.
merci à Nico A. Mertens pour sa disponibilité.
A écouter :
Twee Narrendansen (extrait). Hendrik Bruynneel (fifre), Jozef Leyman (tambour), Ernest Leyman (fou). Collectage Mater, 1953.
Narrendansen van Mater. (extraits face A et face B). Hendrik Bruynneel (fifre), Jozef Leyman (tambour), Christine Bruyneel (fou). Alpha, c.1974.
Narrendans (extrait) Het Brabants Volksorkest. Flemish Folk Music, vol 1. Alea, 2004.
La folie et la fête. Michel Foucault. L'usage de la parole : les langages de la folie. France Culture, 1963.
A regarder :
Zottenkermis. Pieter van der Heyden, d'après Pieter Brueghel, 1570. Rijksmuseum, Anvers.
Gravures de Pieter van der Heyden. Musenor.
Vièle à vessie. MIM, Bruxelles. (la huibe, ou pseudo-bass est faite d'une planche en forme de violoncelle, montée de 4 cordes, avec un résonnateur fait d'une vessie de porc. L'instrument était joué dans la région d'Anvers pour accompagner les chants de la fête des Rois-d'après Hubert Boone et Wim Bosmans. Instruments populaires en Belgique -P Leuven-2000)
Le défilé de Sainte Almerberga.
A lire :
De Sottebollen. texte de Claude Gaignebet. Museonor.
La fête des fous dans le nord de la France (XIVe-XVIe siècle). Pierre Emmanuel Guilleray. Ecole des Chartes, 2002.
Folie et société(s) au tournant du Moyen-Age et de la Renaissance. Christine Benevent. Babel littératures plurielles, 2012.
The bumbass, lagerphone, and tromba marina connection. Jon Rose web.
Tête de marotte. David Brouzet.
Le passe-boule. Jeux traditionnels, 2004.
Les danses des fous de sainte Amelberga de Mater. Texte H. Boone accompagnant le 45t. Alpha 1974. Traduction partielle Coérémieu.
Fête des fous et Carnaval. Jacques Heers. Fayard, 1983.
Bonus :
Feast of fools. Katharine Bubbear & Jack Fayter. Université de Bristol.
Jérôme Thomas. Nevex TV, 2004.
Etrennes :
Cliquez sur Balthazar pour le faire roulebouler...
Janvier 2017