Au temps où Berthe filait...
Au temps où Berthe filait...
6 févr. 2015
A petits pas les jours gagnent en longueur. Ne dit-on pas d’ailleurs dès la mi-décembre à la Sainte-Luce, les jours rallongent d’un saut de puce ? La clarté lentement reconquise et la douceur de certaines journées va parfois jusqu’à tromper les oiseaux qu’on surprend à voleter en couple. Bien sûr, c’est encore tôt en saison, il reste février, le court, le dur, à passer...
A Sint-Gil, Sint-Leu, l’lampe à ch’cleu (Amiens), à Sint-Miché, séri cominchée ét peumes o gargné (Lumbres)... qu’ils en établissent le début au 1er ou au 25 septembre, les dictons témoignent de la place que les séries occupaient autrefois en Picardie comme dans toutes les autres régions rurales. La période des veillées qui rassemblaient membres de la famille et parfois voisins le jour tombé marquait le calendrier. Se tenir dans la même pièce permettait d’économiser combustible et lumière en continuant le travail. Voici le soir venu et chacun/s’approche du foyer, pour se chauffer au feu./(...) A la fin de la veillée, pour bien faire,/chaque fileuse doit remplir sa bobine (La Veillée)...
Eer den wever gaet weven/Eenige stoffe, grof of fyn,/’t Garen die zy hem geven/Moet eert gesponnen zyn : avant que le tisserand/puisse tisser une étoffe grosse ou fine,/le fil qu’il doit employer/ doit être filé (‘t spinnewiel - collectage Charles Edmond de Coussemaker). La matière première provient le plus souvent de la ferme et les métiers des tisserands à domicile sont approvisionnés directement par l’activité des femmes de la famille. Tout l’art de la fileuse consiste à prendre juste ce qu’il faut de fibres textile de la quenouille pour former un fin fil, à la torsion et à l’épaisseur constante, gage de solidité... une dextérité recherchée pour la qualité de la future pièce d’étoffe, et les revenus qui en découlent !
Est-il étonnant que les outils du filage, apprivoisés par la petite fille durant toute son éducation, et maîtrisés lors de la constitution de son trousseau, tiennent un place si importante dans les différentes étapes du fréquentage ? Longtemps, les galants ont offert à leur promise une quenouille amoureusement confectionnée et décorée. Le rouet paré de rubans qui trônait sur la charrette transportant le mobilier de la future mariée représentait certes le signe d’un labeur futur, mais aussi un présage d’aisance. De même l’objet des quêtes organisées par les demoiselles d’honneur pour augmenter le pécule d’installation de la jeune mariée (Beauce), ou celles assurées lors du premier repas de noce, quenouille et fuseau en main, au son de L’épousée a bien quenouille et fuseau/Mais de chanvre, hélas, pas un écheveau... Quant à cette quenouillée monstrueuse réalisée par les amis du jeune marié et installée au pied du lit nuptial (Bretagne), n’est-elle pas avant tout symbole d’abondance, et de fécondité ?
Prends ton épée claire/Et moi ma quenouillette/Et combattons-tertot/Ici dessus l’herbette : insultée, une jeune fille lave son honneur, tuant le roi d’un coup de quenouille. Attribut indissociable de la pucelle, la quenouillette, arme pastorale, prend ici la défense de la virginité bafouée. L’imagerie populaire assigne aussi une autre place à la quenouille, et fait un succès des dessins opposant mari et femme pour la direction du ménage : Le rouet est en pièces, la marmite cassée, /La quenouille en l'air, la lanterne brisée. Dans la tradition des estampes d’un monde renversé, les rapports entre homme et femme sont présentés de manière satyrique : la femme a le mousquet/ la quenouille l’époux... Harpie dominatrice ou falot dominé, tout est façon de tenir la quenouille !
A coérémieu , chés séris i sont t'chu in heut (Vimeu)...
A carnaval, les veillées sont l’cul en haut, et les rouets rangés !
Cette année encore, tout sera fait pour que le printemps puisse arriver !
A regarder :
Le filage de la laine au fuseau et au rouet.
Petassou de Trèves. Aquarelle de reportage.
A écouter :
Le tailleur de pierre. La Bamboche, 1974.
Lo Fiolaire (la fileuse)
File la laine. Robert Marcy, 1949.
Le rouet enchanté. Adolphe Orain.
Le rouet d’Or d’Antonin Dvorak : une ballade qui se termine bien. Radio Praha, 2014.
Le rouet 1 et 2. France Musique (Dans l’air du soir), 2014.
La chanson Mariez-moi ma petite Maman est un collectage extrait du site du Cerdo-Métive.
La chanson ‘t spinnewiel est extraite du 33t Chants traditionnels de Flandre Française-Volksliederen uit Frans Vlanderen, vol.2, dont l’intégralité peut être téléchargée sur le site Archives du folk 59/62.
La chanson Madame la mariée n’a pas d’fuseau est chantée par les élèves de l’école Prévert (Nancy).
A lire :
Au temps où l’on filait la laine au rouet. Marce Bayard. L’Abeille de la Ternoise, janvier 2013.
Deux filières textiles en Flandres du XVIIIème au milieu du XIXème siècle. Revue du Nord, 2008.
La maison rustique du XIXème siècle : encyclopédie d’agriculture pratique, 1836.
Bonus :
Pénéloppe. Brassens, 1960.