Polisson !
Polisson !
Du Louvre aux Augustins, sans prendre de basteau,
Elle passe souvent dans le fonds d’un plasteau ;
Il la faut enlever : soufflons à la pareille !
Son vertugadin s’enfle, elle va s’ébranler,
Sans qu’elle tombe en bas soustenons la en l’air,
Comme on fait de savon en l’air une bouteille.
Dans un sonnet écrit en 1620, le sieur de Sigogne évoque, telle une voile gonflant au vent, le vertugadin, accessoire vestimentaire des coquettes bien-nées. Lancé par Jeanne de Portugal près de deux siècles plus tôt sous le nom de verdugale, il est en usage à chez les religieuses de l’abbaye de Thélème : «Au dessus de la chemise vestoient la belle vasquine, de quelque beau camelot de soye. Sus icelle vestoient la verdugale de tafetas blanc, rouge, tanné, grys...» (François Rabelais. Gargantua, chap LVI).
La mode se répand dans toutes les cours européennes, et au fil du temps, le vertugadin, jupon de taffetas empesé, se transforme en structure faite d’osier, d’étoffes rembourrées, de baleines, voir même d’acier, histoire de toujours plus faire bouffer la robe et affiner la taille. Une coquetterie que les belles payent par l’inconfort d’un buste prisonnier, et d’une taille enserrée au dessus des hanches par ce qui ressemble étrangement à une cage à poules ! S’il disparait quelques temps de la mode de la cour sous Louis XIII, l’accessoire a encore cependant de belles années devant lui. Transformé au milieu du XIXème siècle en grande crinoline chère aux bals de Napoléon III, le vertugadin, au gré des changements de formes et de matières, prend le nom de panier, de tournure, faux-cul, cul de Paris ou encore polisson...
Le Polisson et La Vénitienne composent la suite à danser que nous avons choisie pour accompagner nos voeux. Tirés d’un manuscrit conservé à la bibliothèque de St Omer (62), les airs en ont été consignés par André Jean Baptiste Bonaventure Dupont, carillonneur de l’abbaye de Saint Bertin, dans les années 1780. Issu d’une famille de musiciens, le jeune André Jean Baptiste Bonaventure a de qui tenir : son père est titulaire du carillon de la cathédrale de la ville, tandis que son grand-père était domestique carillonneur à Marchiennes... Durant près d’une décennie, il consigne dans son Livre de musique marches, ariettes, menuets, airs d’opéra, autant d’airs à la mode, auxquels il ajoute quelques uns de sa composition. Le recueil, rare document attestant de l’activité d’un carillonneur dans notre région à la riche tradition campanaire, est mentionné sommairement par des érudits. Intégré dans les collections de la Bibliothèque Municipale de Saint Omer, il sort de la léthargie dans lequel il était plongé grâce aux recherches et instruments de musiciens traditionnels, de part et d’autre de la frontière, dans les années 1980.
Que ces notes, qui gardent une part de leurs secrets, et la coquette Colombine minaudant au son du violon et de l’accordéon diatonique vous apportent nos meilleurs souhaits pour une très belle année 2015.
Que celle-ci soit remplie de musiques, de rencontres, de projets et de curiosité !
A lire
Histoire du costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu’au XVIII ème siècle. J Quicherat. Hachette, 1875.
Abbaye de Saint Bertin. Plan relief. Musée Sandelin, Saint Omer.
Musique de carillonneurs, les sources. Mémoires du Folk, 2009.
Les livres de carillon de De Gruytters et Dupont. Mémoire du Folk 59/62, 2011.
Un exemple d’une bibliothèque de musique privée du 18ème siècle aux Pays-Bas. Vlaamse beiaardvereniging, 2003. (texte original ici)
Diest : Le siècle de la famille De Decker (1707-1812). Vlaamse beiaardvereniging, 2002. (texte original ici)
A écouter :
Ensemble Beffrois. enregistrement 1998 à télécharger ici
In ‘t staminee. t'kliekske, 1991. Comprend plusieurs morceaux extraits du manuscrit de JB Bonaventure Dupont, dont Ariette, extrait à écouter ici
Les carillons. Conte de Noël, Charles Dickens. France Culture, 2014.
A regarder :
L’esprit des clochers : les carillons. INA, FR3 Dijon, 1976.
Cloches et carillons. Beffrois et patrimoine. 2007.
Carillonneur, un métier en Nord. Lycée Jolliot-Curie (Oignies). Je filme le métier qui me plait.
Bonus :
Découpage. Imagerie Pellerin, 1860.
La gravure «Le carillonneur» placée en illustration est tirée d’un article du Magazine Pittoresque de 1851 qui évoque le carillon de Dunkerque. Il se pourrait que le carillonneur représenté soit Henri Heynen (1757-1850), successeur des Lecat, nous précise Christian Declerck, rédacteur du Blog Mémoire du Folk 59/62
Janvier 2015