Dans la campagne, les champs encore nus mettent à découvert les animaux cherchant leur nourriture, proies faciles des jours de chasse. Il fait froid, mais les journées qui rallongent et l'air sec incitent à profiter d'un pâle soleil filtrant à travers les arbres dépouillés de leurs feuilles. Février est là, ça s'active au bois...
Martin prend sa serpe, au bois il s’en va/Faisait tant froidure, le nez lui gela... Le Calendrier des Bergers daté de 1529 transmet l'image d'un
riche paysan se chauffant auprès de l'âtre, pour les serfs, la réalité est autre. Parfois magnifié dans les enluminures comme un temps clément pour "travailler au bois", février,
le plus court et le pire à la fois, impose plus souvent neige ou froidure pour bûcheronner et faire des fagots. Parmi les
droits d'usage forestiers en vigueur sous le régime féodal, le
marronnage autorise le paysan à prélever le bois nécessaire à la construction de sa maison (charpente, menuiserie, structure des murs à pans de bois), aux clôtures et à la fabrication des outils agraires, et l'
affouage celui de prélever le bois nécessaire pour se chauffer et cuisiner.
La forêt, avec son couvert, est aussi le lieu idéal pour une cache, celle des hors-la-loi, des brigands, des résistants... Quoi de plus naturel que d’en sortir sous l’habit de bûcherons ?
Dans la forêt, sous les chênes/Du Guesclin va se cacher/ Avec trois bons gars de Rennes/ En bûch’rons s’sont déguisés (
Dans la forêt sous les chênes). Nous sommes en 1354, au début de la Guerre de Cent Ans ; Bertrand Du Guesclin, issu de la petite noblesse bretonne, va entrer dans la postérité en reprenant par la ruse le château de
Fougeray, devenant par la même occasion le héros d’une chanson de geste du trouvère Cuvelier :
Nous prendrons habit comme des paysans/En bois ou en forêt qui le bois vont coupant/.../Mais nous serons armés sous notre déguisement. Sortant de la forêt de Paimpont et se présentant au pont-levis de la citadelle tenue par des Anglais pour proposer des fagots dans lesquels leurs armes sont cachées, Du Guesclin parvient avec ses hommes à entrer dans la place et à s’en rendre maître. La chanson traditionnelle a gardé la trace de ce fait d’armes. Mais elle omet de mentionner ce que Cuvelier précise :
Ce sont les boquillons (bûcherons) qui viennent nous livrer/Et leurs femmes aussi, de clairs vêtement vêtues/Allons déverrouiller... Habile Du Guesclin ! Si une partie de sa bande est déguisée en bûcherons, d’autres sont
affublées de jupons blancs pour ressembler à de pauvres femmes venant de ramasser du bois en forêt (Siméon Luce-
Histoire de Bertrand Du Guesclin).
Au fil des temps, c’est le plus souvent la femme, jeune ou vieille, accompagnée des enfants, qui ramasse le bois et courbe l’échine sous le poids du fardeau. Le ramassage du
bois, des fougères, des mousses, mais aussi des branchettes laissées par les bûcherons après leur passage, à l’image du glanage qui permet de récupérer une fois la récolte effectuée ce qui est resté dans le champ, constitue une activité indispensable dans la société traditionnelle. Combustible de chauffage et de cuisson, les fagots sont, durant des siècles, de toute première nécessité : les bois de grosse section ne sont pas utilisés par le petit peuple pour se chauffer ou cuisiner, et il faut beaucoup de fagots pour faire monter en température les fours à pain... Utilisés immédiatement dans le cadre domestique, ils étaient également vendus au porte à porte à la ville, comme le faisaient il y a un siècle les paysannes de la région de Crécy (80) allant à Abbeville en carriole vendre les
tolinets, ou d’autres à Paris durant l’Occupation.
L’iconographie médiévale ou moderne nous montre une femme confectionnant des fagots, à côté d’un homme maniant la serpe. Là, ce n’est plus ramassage de bois mort, mais participation aux travaux d’entretien, et constitution de fagots de bois vif. Dans notre région, avant le remembrement, le paysage rural était rythmé par la présence de haies taillées intégrant souvent des arbres conduits en têtards. Outre le fait d’assurer la clôture des parcelles et une fonction de drainage des terrains, ces haies fournissaient, grâce à ces arbres taillés au maximum tous les 5 ans, un bois précieux pour les besoins en combustible, mais aussi pour les plessis et fascines. Va-t’in vir din min villach’/Comm’ ej’ sais bin travailler/Ej’ m’intinds au rétoupach’ chantait le futur promis du Ternois (62)... Rétouper, faire le toupet des haies constituait alors une qualité recherchée, et le regard avisé sur les haies du voisinage permettait vite de juger le savoir-faire des uns et des autres...
C’est un homme qui lance le cri
Gros cotrets secs ! (
Les Cris de Paris).
Au bois toute la journée, je ne me donne point de repos/Au bois toute la journée, je m’occupe à faire des fagots/.../Mes fagots sont tous bons et beaux/Mais je donne aux filles les plus gros, nous dit la chanson
Le Bûcheron trois siècles plus tard. Clientes chanceuses ou fagotier faraud ? C’est la question qu’on peut se poser en continuant par la lecture de
Guillemette et Guillot (1784) :
L’amour souffle sur l’allumette/Du pauvre bonhomme Guillot/D’un fagot encore il fit fête/ En brula quatre ou peu s’en faut/ Que n’en brulons-nous davantage/dit Guillemette à son Guillot/Non non, dit-il, faut du ménage/Tantôt Guillemette, à tantôt... Un fagot dont le sens est vraiment multiple ! On dit
fagot, fagoter, mal fagotée... pour qualifier quelqu’un de mal habillé, un attribut d’ailleurs essentiellement présenté à coups d’exemples féminins dans les dictionnaires ! Mais ne dit-on pas pourtant
une bouteille de derrière les fagots pour qualifier un bon vin ? Et que penser de
sentir le fagot, dont le
Grand Dictionnaire Français-Flamand (1781) nous rappelle que l’expression
ne doit être d’usage que dans les pays où l’on fait profession de brûler ceux qu’on appelle hérétiques, et que
par extension cela qualifie les libertins ?
Février est arrivé. Il faudra du feu et des fagots pour faire chauffer la poêle à la Chandeleur, à en faire noircir le cul pour se mâchurer la figure à Mardi-Gras...
Sous les fagots, c’est le feu de Carnaval qui couve !
à écouter :
Les filles des Forges de Paimpont. Tri Yann (présentation du collectage de la chanson ici)
Le chêne. Gilles Vigneault. INA, 1977.
Bonhomme. Georges Brassens. INA, 1969.
Les Cris de Paris. Ensemble Clément Jannequin
Les hommes et la forêt. Marie Chalvet. La Marche de l’Histoire, France Inter, 2011.
La chanson J’ai tros belles paires ed’ marronnes est extraite de l’enregistrement Musiques et Chants Traditionnels d’Artois-groupe Marie Grauette, téléchargeable sur le site Mémoire du Folk en Nord Pas de Calais.
à lire :
La cinématique du fagot.
Les affouages, une tradition qui a évolué. Ecole de Merry la Vallée.
à regarder :
La journée sombre. Peter Brueghel, 1565
Le cycle des saisons. Peter Brueghel, pour s’immerger dans le paysage de la Flandre médiévale hivernale (les tableaux Retour des chasseurs, La journée sombre et Les patineurs se trouvent en bas de page)
La machine à fagots.
Run Mueck. Woman with sticks. Fondation Cartier, 2009.
Bonus
La fée fagot qui casse ses lunettes.