Revenons à nos moutons
Revenons à nos moutons
A la fin des années 70 sort une petite brochure accompagnant une K7, Musiques et Chants traditionnels de l’Artois, groupe Marie Grauette. Un tirage limité, éloigné des formats numériques et de l’impression laser actuels, témoignant d’un patrimoine encore chanté alors dans l’Audomarois, l’Arrageois ou le Ternois. Sur la K7, la chanson Les Tondeurs détaille les étapes nécessaires à la transformation de la laine, tout comme les avaient consignées les Ballard, dynastie d’éditeurs originaire de Montreuil sur Mer et installée à Paris, plus de deux siècles auparavant.
Plus tôt encore, les Calendriers des Bergers et Livres d’Heures du Moyen-Age, représentations symboliques et magnifiées des saisons et travaux agraires, avaient figuré des tondeurs à l’ouvrage, en avril, en juin, mais aussi en juillet, maintenant le mouton d’une main et maniant les forces de l’autre. Ayant perçu très tôt tous les avantages qu’il pouvait tirer de l’élevage du mouton, l’homme apprit à utiliser sa peau et son poil pour se vêtir, sa viande et son lait pour se nourrir, et aussi à en utiliser l’instinct grégaire, la résistance et l’appétit pour débarrasser les terres des chardons et les amender de ses crottins… Un élevage pratiqué dans les régions de montagnes avec de longues périodes de transhumance, ou organisé, comme dans la moitié nord de la France, entre une bergerie édifiée dans la ferme, et les terres où les animaux sont parqués.
Quand la bergèr’ s’en va-t-au champ/Sa quenouilett’ s’en va filant/A trouille/A mouille/A file/A coud/A va/A vé/All’ appelle son ché:/Té ! tapinia ! tâ ! Té ! té ! té ! tapinia ! / Ta ! Dau pâ ! (Elle/tourne/Elle mouille/Elle file/Elle coud/Elle va/Elle vient/Elle appelle son chien/Tiens Taupin, tiens/Tiens, tiens, tiens, Taupin/Tiens du pain). Dans cette chanson du Poitou, le refrain, loin d’être une suite d’onomatopées, est constitué de paroles adressées au chien de troupeau. Tout comme le briolage ou le dariolage, qui rythmait autrefois les bœufs dans le travail des champs, le huchage constitue un langage intime et singulier compris par le chien et le maître. Auxiliaire indissociable, mais aussi compagnon, le chien constitue, avec le bâton et le sac, la panoplie du berger et de la bergère, qui vivent solitaires au rythme de la vie du troupeau. Mobiles au point de vivre dans des cabanes sur roues, vivant hors du village, parfois pendant de longues périodes, bergers et bergères sont gratifiés de connaissances et de pouvoirs hors du commun. Plus encore, la bergère, par sa présence hors de l’espace domestique que constitue le foyer, et donc non assujettie à ses contraintes, est réputée disponible, voir facile.
Le galant est dans les parages, le loup n’est jamais bien loin lui aussi. Le rôle essentiel de la bergère n’est-il pas de veiller sur son troupeau, aidée de son chien ? Jeunette et novice, elle peut manquer à sa tâche, voir s’endormir. Dans la chanson Mon père avait 500 moutons (Savoie), le fils du Roi, qui l’aide à récupérer les moutons emmenés par le loup, exige d’elle son cœur, pourtant déjà promis à Pierre. Parfois, le loup n’est qu’excuse : Ne crains rien belle bergère/Ne crains rien pour le courroux/ Nous irons dire à ta chère mère/Qu’ils sont tous mangés du loup/Donne moi ton pucelage/Je n’en dirai rien du tout (Le prix de mon silence-Savoie). Et elle parfois de répondre N’as-tu pas peur du loup ?/Et par ma foi Monsieur, pas plus du loup que d’vous (Ah dis-moi donc bergère). Alors, le loup, prétexte ou alibi ?
Ah dis-moi donc bergère, à qui sont ces moutons ?… Il y a aujourd’hui moins de moutons à mener pâturer, et moins de bergères à leur côté. Mais la chanson, avec sa forme narrative et dialoguée, n’en a pas fini avec les bergères pour autant.
Ah dis-moi donc bergère/Mais que s´est-il passé?/C´n´est pas du tout ce que mon père/Et mon grand-père m´ont raconté/Ils m´ont dit que les filles/N´attendaient plus que moi/Qu´avant d´fonder une famille/Je devais m´amuser comme un roi (Bergère).
Est-ce que les bergères ont tant changé ?
A écouter :
La Laine des moutons. Carmen Campagne. Nous sommes les musiciens ! La Montagne secrète, 2007.
File la laine. Jacques Douai. EPM, 2006
Je mène les loups. Les Musiciens de Saint Julien. Danse des bergers, danse des loups (titre 9). Alpha, 2005
Y’a rien de si charmant que la bergère aux champs. Christophe Toussaint, 2010
Bonjour, belle Bergère. Titre 4. Haute Vienne (collectage). 1960
Le Loup devenu berger, de Jean de La Fontaine. Paul Fargier. Ca c’est Paris, 2006
Il était une bergère. Colette Renard. Chansons Gaillardes et libertines. Rendez-vous digital, 2010
Il pleut bergère. Jean-Luc Madier. Anthologie de la Chanson Française (titre 3). Believe, 2005.
La dernière bergère. Jean Sablon, 1933-1946.
Musique et Chants traditionnels d’Artois. Groupe Marie Grauette. Arras, 1978 à télécharger sur le site de Mémoires du Folk 59/62
Le collectage effectué par l’association Marie Grauette (23 titres) est à télécharger sur le site Mémoires du Folk 59/62
A regarder :
Bergers, bergères (extrait). ORTF (les Conteurs), 1965
Les bergers de la Baie de Somme. FR3 Picardie, 2013.
Les grandes marées et les moutons des prés salés. FR3 Picardie, 2011.
Hiver nomade (bande annonce). Manuel Von Stürler, 21013
A lire :
Le Bon Berger, ou le vrai régime et gouvernement des bergers et bergères. Jehan de Brie. Réimpression de l’édition de 1541. Paris, 1879
L’organisation de l’élevage ovin d’après le traité de Jean de Brie et l’iconographie médiévale. Perrine Mane, Mickaël Wilmart. Ethnozootechnie, n°91, 2011
Bonus :
Shepeed away. Réal Junaid Chundrigar. Imajunation, 2011
FriendSheep. Primerframe.com, 2010
Topaze (extrait). Marcel Pagnol, 1930
Super bonus :
Cheptel Maudit. F’murr. Le Génie des alpages tome 13. Dargaud
Adoptez une cardère des villes. La Hulotte, le journal de plus lu dans les terriers
1 juil. 2013