Février, "le court, le pire de tous", avec son cortège de froidure et de neige, est passé. Mars annonce déjà la sortie de l’hiver et le prochain retour du printemps. Perce-neige, crocus et jonquilles sont accueillis par une lumière qui va s’amplifiant, alors que les merles et grives poussent leur chant dès le lever du jour. Mais ne nous y trompons pas, les matins de givre et les giboulées vont nous contraindre encore un peu au chaud des maisons. Un dernier répit avant de reprendre les travaux du jardin, une belle occasion de découvrir les dessous de la vannerie...
L’art de fabriquer des objets tressés avec des tiges et des fibres végétales était déjà maîtrisé au
mésolithique, et l'homme du néolithique utilise la vannerie pour fabriquer des objets à usage domestique, améliorer l'habitat, protéger les cultures. Au Moyen-Age, ces mêmes
techniques sont mises en oeuvre pour fabriquer les
plessis qui clôturent les jardins, réaliser les enclos destinés au bétail, et édifier les
clayonnages nécessaires à la construction des murs de pisé ou
torchis ainsi que les innombrables paniers, plateaux, mannes qui servent à cueillir, conserver, transporter. Indispensable pour les récoltes au jardin, le panier est aussi l'accessoire du commerce : les villes résonnent alors du cri des
marchands ambulants, munis de paniers et hottes aussi diverses que leurs marchandises, comme en témoignent les gravures des
Cris de Paris (16° siècle).
Pendant des siècles, chaque région possède ses ustensiles à l'ergonomie adaptée à l’usage souhaité :
mesures pour le picotin des chevaux, paniers de formes diverses pour la récolte des fruits et légumes,
claies pour les conserver ou les faire sécher,
semoir,
van pour cribler le grain,
hottes de vendangeurs,
mannes et
cribles pour la récolte des pommes de terres, des betteraves,
bannettes pour la confection des pains,
mannes,
paniers et
casiers pour la pêche, paniers pour transporter les
volailles, la terre, le fumier ou encore le
charbon... Cette «vannerie rustique» met en œuvre une grande variété de plantes et arbustes disponibles aux alentours. Cornouiller, noisetier, chataîgnier, chêne, frêne, orme, bouleau, hêtre, platane, charme, peuplier, sapin, épicéa, paille de seigle, de blé, d’orge ou d’avoine, millet, osiers, roseaux, carex, joncs, chévrefeuille, houblon, glycine... la liste des végétaux utilisés est longue.
Si les artisans vanniers s'organisent en
corporations à partir du 16° siècle, la vannerie est aussi pratiquée à la campagne très couramment dans le cadre domestique jusqu'au début du 20° siècle. Durant la mauvaise saison, de la Saint
Martin aux alentours de Pâques, avant que ne démarrent les semailles, on se réunit dans la salle commune de la ferme pour la "veillée". Selon les régions, les femmes filent, tricotent, raccommodent, brodent ou font de la dentelle. Les hommes réparent les outils, teillent le chanvre et tressent les paniers et ustensiles nécessaires à la vie quotidienne. Les enfants participent et aident. Dans notre région, les matériaux utilisés sont des plus communs : l'osier coupé en décembre sur les saules et les branches de noisetiers cintrées ou refendues fournissent lattes et éclisses pour fabriquer les
mannes et paniers. On pratique aussi la vannerie en spirale, avec la paille de seigle coupée à la faucille l'été, et des écorces de ronces découpées en longues lanières ; une technique utilisée pour fabriquer les
corbeilles à panifier,
mandelettes picardes,
paniers à oeufs, mais aussi les
ruches qui permettront de récolter le miel. Ces savoir-faire s'enrichissent d'échanges et de rencontres :
colporteurs,
bohémiens de passage et ouvriers saisonniers.
Parallèlement à cette vannerie familiale, la révolution industrielle et ses besoins en conditionnement, malles et corbeilles entraîne le développement des activités de vannerie dans certaines régions propices à la culture de l’osier, la Picardie (4000 vanniers, dont 150 dans le petit village de Le Boisle sur l’Authie), les Ardennes, le Vaucluse, la Haute Marne où est créée un centre de formation à Fayl-Billot. L'arrivée du carton, puis des matières plastiques marque le déclin de cette production, même si la vannerie d’osier garde aujourd'hui un rôle utilitaire à travers la réalisation de paniers et claies spécifique à l’artisanat (boulangerie, fromagerie ...)
Utilisé quotidiennement, le panier accompagne nombre d'activités dans la chanson traditionnelle :
Bon cidre doux, où as-tu cru/J'ai cru dans ce bois tordu/A coups de gourdin, on m'a battu/ Puis en panier on m'a foutu (Chanson du cidre - Haute Normandie) ;
Assemblons nous, filles et garçons/De Paris à Coutanges/ Prenons la hotte et serpillon/ Et allons en vendange (En vendange-1675). Mais parfois la chanson joue à brouiller les pistes...
Quand j'entrais en condition/J'n'avois qu'un vieux cotteron/Tomboit par loque et par haillon/Je l'ay changé en beaux jupons/ Je porte dentelles et frisons/ L'anse du panier en répond (Ballard-Rondes à danser, 1724). A quoi sert donc ce panier et son anse ? S'agit-il du
panier-jupon qui fait gonfler les robes au 18° siècle grâce à son armature de jonc ? Tout comme le feront un siècle plus tard les
crinolines à cerceaux d'osier, une matière que l'on trouve aussi dans les
corsets, en lieu et place des fanons de baleine réservés aux plus fortunées... En Pays Gallo, on chante
Quand la belle fut éveillée /Elle se trouve toute étonnée/Près d’elle se trouvait un homme/ Son jupon tout étalé/Qui donc a pris si hardiment mon, mon, mon joli mon/Qui donc a pris si hardiment mon joli p’tit panier blanc ? Et le garçon de lui répondre ta grand-mère en faisait tout autant...(
L’autre jour en m’y promenant)...
C'est aussi d'osier travaillé que sont faites les carcasses des
géants festifs des défilés carnavalesques du Nord de la France, une matière idéale qui leur donne robustesse et «légèreté», même s'ils nécessitent plusieurs «porteurs» cachés sous leur jupe...
Pourquoi l’osier ? C’est souple et c’est extrêmement résistant. Si résistant que même lorsque Monsieur Gayant se fait renverser par une voiture, seuls deux brins d’osier sont à changer ! (Isabelle Bréant, artisan-vannier)
Dans la ronde des très nombreux géants de la région, deux personnages n'ont besoin d'autre nom que "Géant", en picard ou en flamand. Gayant est le géant bienveillant et protecteur de la ville de Douai. La légende raconte que c’est un enfant sauvage élevé par une ourse ; de taille et d’une vigueur exceptionnelles, à l’image de Jean de l’Ours, sociabilisé au contact des hommes, il a combattu les reuzes venus de la Mer du Nord. Le carillon de Douai sonne à chaque premier quart d’heure l’air de Gayant.
Quant à Reuze Papa et sa femme Reuze Maman, c’est à Cassel qu’ils feront, comme chaque année, leur sortie en fanfare ce prochain Lundi de Pâques. A cette occasion, ils danseront et tourneront sans trêve , au rythme des fanfares et de l’air du Reuze (extrait interprété ici par Wannes Van de Velde), joué et chanté dans toute la Flandre et le Brabant.
Dignes héritiers de la tradition gargantuesque et pantagruelique chère à François Rabelais, les géants du Nord, au sein des cortèges carnavalesques annoncent la venue prochaine du printemps.
à lire :
Géants, fêtes et carnavals du Nord-Pas de Calais/Cassel. Documents d’Ethnographie Régionale du Nord Pas de Calais N°3. Musée Régional d’Ethnologie de Béthune, 1993.
La Ronde des Géants, association régionale.
à regarder :
Les cueillettes (feuilletoir). La gastronomie médiévale. Bibliothèque Nationale de France.
Les quatre éléments. Joachim Beuckelaer(1534-1574). National Gallery, London. (possibilité de regarder en détail les 4 tableaux de cette série comportant de très nombreux paniers)
La Vannerie. Ministère de l’Agriculture, 1928.
Pascal Harbonner, créateur-vannier.
Michel Bruzeau, vannier. WebTv des Picards, 2011.
Le Boisle, Pays de la Vannerie. WebTv des Picards, 1992.
Vannerie en noisetier. RTBF, 2010.
La paille de seigle devient paillas. SIVOM d’Ambert, 2009.
à écouter
La Chanson du vannier, musique de César Franck. Duo pour Voix Egales, 2012.
Les marchands des 4 saisons. Mireille Ben. Anthologie de la Chanson Traditionnelle, Chansons de métiers.
I went to the market. Gilles Vigneault.
Cric-Crac ou le faiseur de paniers. Assemblée des Normands d’Hérouville.
St Crispijn en de reuzkens. Het Brabants Volksorkest.
Reuzekensdans (Air de Gayant). ‘t Kliekske
Bonus :
Le loup et moi (extrait). Compagnie les Globe Trottoirs. 2012